Vous avez bien cerné le problème que la différence entre Aristote et Platon pose. C'est un problème qui, avec celui de l'Un/Multiple, va traverser les âges. C'est un problème qui demeure maintenant, même s'il est simplement mis de côté par la philosophie postmoderne qui considère, par exemple, le langage comme n'étant qu'un jeu.
Lorsqu'Aristote affirme qu'il n'y a de science que du général et d'existence que du particulier", Aristote est entrain de poser les bases de la connaissance "scientifique" du monde :
1) il n'y a d'existence que du particulier : pour Aristote les choses existent réellement. Il n'y a pas d'autre monde à aller chercher. Le sensible, l'expérience que nous en faisons, est la première condition nécessaire à la vraie connaissance.
2) mais, il n'y a de science que du général ... et non du particulier. Pourquoi ? Parce que sur la base de la connaissance sensible que nous avons du monde, Aristote va définir un certaine nombre de catégories qui vont l'aider à construire une manière de définir les caractéristiques de toutes les choses. C'est à dire : Aristote définit un moyen de construire et de définir le monde avec des catégories fondamentales (essence, quantité, qualité relation, espace/temps, position, l'avoir, l'action, la passion).
Ainsi, lorsqu'Aristote affirme qu'il n'y a de science que du général il ne se contredit pas ! En effet nous pourrions croire que cela contredit l'affirmation seconde que l'existence est seulement individuelle (ce qui semble nier la possibilité d'une science générale). En réalité pour Aristote, l'existence particulière des choses fonde la vraie connaissance générale. En cela Aristote pose les bases d'une connaissance systématique du monde.
Pour ce qui est du point important que plusieurs d'entre vous mentionnent (concernant les "universaux") ; la question est bien de savoir comment quelque chose peut exister "en soi", c'est à dire exister de manière indépendante des autres réalités, tout en demeurant compréhensible pour nous. Comment par exemple savoir ce qu'est un peuplier ?
- si Platon a raison : je ne suis pas obligé d'en avoir l'expérience pour le connaître. Ce qui est premier, c'est l'Idée "peuplier" qui est la source de toute existence de ces arbres particuliers. En quel cas, pouvons nous vraiment prétendre connaître ?
- si Aristote a raison : alors c'est l'expérience sensible qui est première. Je connais ce peuplier là et pas un autre. Je peux ensuite (avec les catégories aristotéliciennes) définir les caractéristiques d'un peuplier pour les connaître tous. Mais encore une fois : si l'expérience est première dans mon processus de connaissance, ne faut-il pas que je fasse l'expérience de tous les peupliers qui existent ?
Ceci pose la question de la référence du langage. Le mot "peuplier" désigne-t-il quelque chose d'universel : c'est à dire le mot lui-même est une réalité ? (réalisme)
Ou alors ce mot n'est il qu'un terme abstrait choisi par pure convention ? (nominalisme)