Ch. 4, Q23 : Quelles sont les idées majeures de Rousseau ?

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« Toute l'oeuvre de Rousseau est axée sur la connaissance de l'homme. Rousseau ramène à l'étude de l'homme tous les problèmes qu'il se pose »(R. Derathé, « l'homme selon Rousseau » in « Pensée de Rousseau », Points seuil).
Ainsi, les questions de la pédagogie (Emile ou de l'éducation), de la théologie ou de la politique (domaine clé dans sa pensée) sont abordées en fonction de l'homme et non à partir de données externes comme les Ecritures ou la science - Rousseau mène une étude de la nature de l'homme, de sa psychologie, de son aspect moral. Il s'agit essentiellement, et de façon assez pragmatique, de déterminer « quel rang il occupe dans l'ordre des choses ».
Dans cette réflexion, la question politique est centrale. Rousseau s'interroge notamment sur l'origine de « l'inégalité parmi les hommes », et cherche à savoir quelle est l'origine des maux qui frappent la société humaine. Son explication repose sur une opposition de la nature et de la culture, de l'homme naturel et de l'homme civil : on connait la formule : « l'homme naît naturellement bon, c'est la société qui le corrompt ».
L'idée est la suivante : "Tout est bien sortant des main de la Nature, tout dégénère dans les mains de l'homme." "L'état de réflexion est un état contre nature, et l'homme qui médite est un animal dépravé."
C'est à dire que par la pensée, les arts, la technique, en bref par la civilisation, l'homme a perdu l'état de nature - un stade (mythique) de bonheur et d’équilibre. Il a vécu une dégradation de sa condition. L’inégalité est engendrée par la propriété : l’homme est dénaturé par la société qui n’est qu’un pacte d’association au profit des riches.
Selon la formule de J. Brun, Rousseau envisage alors « le salut par le social », en proposant un nouveau « pacte social » qui permette d'unir les hommes et de retrouver le bonheur de l'Age d'Or par un « vrai contrat » (« une forme d'association dont les lois se superposeraient sans les violer aux lois fondamentales de l'état de nature » - Brun p229) - un vrai contrat au terme duquel le peuple souverain pourrait exercer directement sa souveraineté et dépasser ce clivage nature/culture.
Pour lui, la volonté du peuple tend toujours à l'utilité publique - même si la base, qui « n'y voit pas toujours très clair » a besoin d'un Législateur pour la guider un peu... 
J. Brun, dans un de ces assauts démystificateurs dont il a le secret (voir son analyse de la Révolution!) souligne de nombreuses oppositions chez Rousseau, qui sapent un peu la crédibilité de son système.

Rousseau (1712-1778) exprime le plus fortement le paradoxe qui parcourt les Lumières, tiraillé entre l'admiration de la Nature et son désir de la changer. Tantôt, il accuse la société de dépraver l'homme, bon lorsqu'il est dans son état naturel (de « bon sauvage »), tantôt il affirme que la société doit substituer à l'ordre naturel injuste (qui fait triompher le plus fort) « une égalité de droit garantie par une constitution rationnelle ». (p.227)

Rousseau élabore une sorte de fantasme sociologique où l'homme à l'état de nature (qu'il tente de retrouver par déduction à partir des primitifs) vivrait en « libre harmonie » et pleine « innocente dépendance à l'égard des choses ». (p.228)
Par un « état politique et moral » Rousseau veut rétablir l'état naturel, avec la collaboration de tous et l'admission d'une loi qui domine sur tous les hommes. (p.229)
Le système d'exercice législatif qu'il préconise relève de la démocratie directe, qu'il a pu observer en Suisse, car il réprouve toute délégation du pouvoir à un député. (p.229)
Cependant, le peuple aurait besoin d'un guide clairvoyant pour le conduire pour l'aider à discerner le Bien commun. On a là une des inspirations de la dictature du prolétariat, guidée par le parti unique, chère aux régimes communistes. (p.230)

Chez Rousseau, homme timide et mal à l'aise en société, poussé à une certaine paranoïa, les paradoxes de ces revirements de position s'explique par un mélange d'émotions et de passion confronté à un désir de rationnel. Ce cheminement paradoxal évoque celui que suivra la Révolution française. (p. 231)

Rousseau est « l’homme des contradictions non résolues » (227) et ses idées majeures ont cela de sembler s’opposer les unes aux autres.

• Tantôt il fait preuve d’un optimisme naturaliste et d’un pessimisme sociologique : l’homme naît bon, mais la société le déprave.

• Tantôt d’un pessimisme naturaliste et d’un optimisme sociologique : la nature offre le spectacle du triomphe du plus fort et la société doit substituer à cet ordre une égalité de droit garantie par une constitution rationnelle.

Rousseau développe dans le Contrat social une vision originale de l’homme.

• A un état « naturel » l’homme est pur, sans tout ce qu’il doit à la société. Cet homme est celui des désirs simples en qui les besoins et les ressources s’équilibrent.

• À cet état naturel s’oppose un état social où l’intelligence se développe au-delà des sensations et où l’équilibre naturel est rompu.

• À cet état social Rousseau veut substituer un état politique et moral qui rétablira l’ordre naturel et assurera la régénération de l’homme. (228-229)

Dans cette vision de l’homme se trouve un être sans égal, le législateur, qui va être comme un guide qui ouvre les yeux pour que l’homme voit le Bien. Rousseau doute finalement que ce législateur puisse être un homme, toujours susceptible de succomber à la passion, et dans l’absolu voudrait « que le despote pût être Dieu. » (230)

Les idées majeurs de Rousseau, homme de contradictions, parfait exemple d’un homme tant passionnel que rationnel, solitaire, sont les suivantes :
• « Les sciences et les arts n’ont pas contribué au bonheur de l’humanité mais la font régresser » (Brun, p.227)
• L’état de nature : l’homme naturel est pur ; cet état purement abstrait n’est connaissable que par le truchement de l’observation des comportements des animaux
• L’état social : il s’oppose à l’état de nature ; cet état « engendre des besoins toujours nouveaux, des inégalités et une perte de la liberté par une dépendance toujours plus grande à l’égard des hommes. » (Brun, pp.228-229)
• L’état politique et moral : il rétablit l’état naturel et « assurera une régénération de l’homme. » (Brun, p.229)
• Le Souverain est : « le corps politique auquel le contrat social a donné naissance, la puissance législative appartient au peuple et la puissance exécutive au gouvernement ; la puissance du souverain n’a pas besoin de garant envers ses sujets, car le corps ne peut vouloir nuire à tous ses membres. » (Brun, p.229) La souveraineté est inaliénable !
• Le législateur : le peuple qui veut le Bien a besoin d’être éclairé par un guide qu’il appelle « législateur ».

IL est difficile de trouver chez Rousseau un ensemble d’idées cohérentes et suivies tant il a pu dire tout et son contraire. On peut toutefois retirer de son œuvre cet aller et retour entre la nature et la société. Il reconnait l’état de nature de l’homme qu’il considère toutefois comme abstrait, un état d’homme pur qui pourrait ne jamais exister. A cet état de nature initial, il oppose un état social qui engendre des besoins nouveaux et le rend dépendant de la société et des hommes. Il le remplace par un état politique et moral qui rétablira l’état de nature et permettra la transformation de l’homme.
Rousseau est celui qui a exprimé le fait que le peuple qui veut le bien ne le voit pas toujours et qu’il a besoin d’un guide qu’il appelle le Législateur. Ce guide aura la charge de le sortir des ténèbres. Mais il a aussi par la suite affirmé la difficulté à suivre la raison quand il y a la passion.

Comme le révèle Brun, c’est un homme plutôt « mal à l’aise dans les milieux sociaux, se réfugiant dans une orgueilleuse solitude », pensant que « le monde est plein de gens qui me haissent pour tout le mal qu’ils m’ont fait » ! (p231). Ainsi cette fragilité pourrait expliquer les contradiction permanentes de sa pensée !

On peut trouver chez lui une réflexion sur l’état de nature, l’état social, l’état politique et moral, le Souverain, le Législateur. Ce serait lui qui pourrait conduire le peuple vers le Bien. Le peuple désire le Bien mais ne le voit pas toujours, il lui faut donc un guide, qu’il nomme le Législateur. Celui-ci le sortira de ses ténèbres…

Finalement on pourrait dire que Rousseau « croit souvent à un salut par le social, tout comme d’autres croient à un salut par le rationnel, mais la croyance en ce salut est chez lui essentiellement émotive et sentimentale ». il inspirera la révolution francaise avec ces idées…(p231)

La pensée de Rousseau est, comme le souligne Jean Brun, pleine de contradictions non résolues et cependant Rousseau annonce un certain nombre de grand thèmes philosophiques et politiques. Comme vous le soulignez tous, il y a deux pôles majeurs chez ce philosophe :

- un état de « nature » dans lequel l’homme est en condition d' "innocence", détaché de tout ce qui le lie (l'enchaîne ?) à sa société.
- un état "social" ou de "culture", lequel s'efforce d'équilibrer la loi naturelle du "plus fort" (227). Cependant, en d'autres endroits, Rousseau semble considérer de manière pessimiste ce même état de culture en y voyant l'origine de la dépravation de l'innocence naturelle de l'homme.
C'est pour cela que nous voyons, chez Rousseau le premier (ou pour la première fois de manière aussi frappante) la distinction entre état de nature et état de culture ... lançant ainsi les grands débats modernes sur la définition de la "culture" (cf. tous les discours de Rousseau sur l'éducation).

Ce que les commentateurs de Rousseau oublient souvent, et que souligne pertinemment Jean Brun, c'est que Rousseau propose aussi un dépassement de l'état social par l'instauration d'un état (condition) politique et moral (d'où l'importance de la "religion civile"). Cela exige l'établissement d'une loi radicalement au-dessus des hommes, raison pour laquelle un Proudhon a vu en Rousseau un défenseur de la tyrannie (ou d'un législateur tyrannique).

D'autres aspects distinctifs sont :
- sa théorie du contrat social.
- sa conviction que la société est soudée par une "religion civile" qui s'accommoderait de toutes les autres diversité religieuses tout en leur étant supérieure et prioritaire.

Rousseau (1712- 1778) fut lʼhomme des contradictions non résolues. Il fait tantôt preuve dʼun optimisme naturaliste et dʼun pessimisme sociologique, en nous disant que lʼhomme est bon mais que la société le déprave, tantôt preuve dʼun pessimisme naturaliste et dʼun optimisme sociologique au nom desquels il nous affirme que la nature nous offre le triste spectacle du triomphe du plus fort et que la société doit substituer à cette ordre naturel injuste une égalité de droit garantie par une constitution rationnelle. La révolution française est lʼaboutissement de ces doutes et de ces contradictions. Pour lutter contre les injustices, lʼhomme pille et tue. Puis, comprenant quʼil est contradictoire de vouloir faire régner le bien à lʼaide du mal, il finit par se livrer à la police.