Pour Jomier, parmi les rares points de contact non conflictuels se trouvent les
valeurs communes (« un même souci de justice sociale, de civisme, d'aide aux défavorisés peut être le ciment d'une activité commune » p. 154), qui permettent aux chrétiens et aux musulmans d'agir ensemble dans certains engagements sociaux. Mais il reconnaît aussitôt que «
le plan religieux est plus délicat ». Or c'est là que se situent les véritables enjeux.
Bien sûr les deux religions, dans les grandes lignes, présentent des poins communs mais cela offre des perspectives apologétiques très limitées.
Pour entrer en dialogue avec des musulmans, il est indispensable en premier lieu :
-
de ne pas oublier que l'Islam se vit essentiellement de façon communautaire et concerne tous les aspects de la vie sociale et de l'identité. d'apprendre à connaître et respecter la « sensibilité islamique », (p. 158) : « tant que les musulmans ne rencontreront pas chez les chrétiens une véritable sympathie pour leurs valeurs authentiques, ils sentiront en eux-mêmes une répulsion instinctive vis à vis de ceux qui ne les comprennent pas ».
- de
respecter l'image de Mahomet, objet d'une grande vénération
- de ne pas perdre de vue
la « concurrence » historique et religieuse sur le terrain de la mission : les musulmans sont d'autant plus rétifs au prosélytisme chrétien.
Sur le plan théologique, il me semble que les principales difficultés soient :
-
le caractère « clos » de l'Islam, basé sur une Révélation qui englobe tous les aspects de la réalité et « inclut » également le judaïsme et le christianisme, considérées comme des religions dépassées. De fait, se tourner vers le christianisme apparaît comme une régression - comme si nous même revenions au culte primitif d'Abraham.
- le fait que
la Bible (vue comme altérée et dénaturée) n'a pas d'autorité : pour un musulman, tout ce qu'on peut savoir de fiable sur le christianisme est dans le Coran.
« la réalité est vue à travers quelques principes d'une idéologie : la clarté des idées ne le cède qu'à leur simplicité. De fait il n'y a plus aucune trace de la complexité de la vie » (p. 124)
Donc ce ne sont pas les idées générales sur le Dieu créateur qui posent problème, mais
l'histoire religieuse elle-même, dans laquelle la place de Jésus est strictement définie par le Coran, sans possibilité de changement (un simple prophète envoyé aux seuls enfants d'Israël). P 124. Dans la perspective musulmane, « judaïsme, christianisme et islam ne sont qu'une seule et unique religion avec le même dogme ». La vision qu'à un musulman du christianisme est donc structurellement faussée (« une affaire jugée et classée »).
Les difficultés sont telles que certains catholiques, cités par Jomier, affirment que si l'on veut continuer à avoir des relations au quotidien, «
il ne faut jamais discuter ensemble, même sur les points qui nous rapprochent le plus (…) car ce qui nous unit dans dans la simplicité de la vie quotidienne pourrait bien nous séparer dans la discussion intellectuelle » (p. 156) !! Certainement c'est plus facile mais c'est renoncer d'une certaine façon.
Certains points peuvent cependant être discutés pour faire avancer les relations, comme
les fausses conceptions du christianisme ou
la question du contrôle de l'authenticité des textes par une reconstitution de la chaîne de transmission (p. 63), sujet de préoccupation mutuel des musulmans et de certains critiques issus du christianisme.
UN ARTICLE INTERESSANTPour aborder la question des enjeux théologiques, je vous conseille aussi la lecture de
l'article d'H. Blocher paru dans Fac Reflexion, « L'Evangile et L'Islam : relever le défi théologique » (disponible ici :
ici ), même si comme le titre l'indique il s'agit davantage de répondre spécifiquement aux théologiens musulmans que de s'adresser aux croyants « de base ».
En ce qui concerne l'approche, H. Blocher conseille déjà
de ne pas « apprendre le Coran, en le citant immodérément, aux « musulmans » qui l'ignorent ! ». Ensuite, la ligne de conduite biblique selon lui est de «
ne pas mépriser les convergences et de pas masquer les divergences ». Il définit 4 sujets « sensibles » sur lesquels il faut réfléchir dans notre approche :
1- l'accès à la Connaissance : « Le « lieu » de la Révélation, par laquelle Dieu se fait connaître, est bien celui où musulmans et chrétiens doivent se rencontrer. Le Coran distingue les chrétiens, avec les juifs, comme « les gens du Livre », ou « Scripturaires ». » ;
(Sur la question de l'inspiration des Livres sacrés, H. Blocher résume ici les différences de conception auxquelles j'ai fait allusion dans le « post » précédent.)
2. la personne de son instrument : même si « l'attachement personnel à Mahomet, comme d'un disciple, s'inscrit dans l'amour pour Dieu lui-même », il est intéressant de voir que dans le Coran, Jésus/isa reçoit beaucoup d'honneur : « On pourrait plaider que, dans la lettre, il se trouve exalté plus haut qu'aucun autre. Pour lui seulement la naissance virginale ! Pour lui seulement le titre de Messie ! Pour lui seulement la conduite irréprochable, alors que Dieu commande à Mahomet d'implorer le pardon matin et soir... » (ce dernier point me semble trop sensible vu la vénération musulmane de Mahomet). Mais ce peut être un point de contact. Blocher cite Cragg qui « se réjouit de l'exaltation de Mahomet à l'image du Christ biblique, et il y voit l'occasion de jeter un pont sur le fossé entre les deux religions(24). On peut, sans doute, profiter de la ferveur de nombreux musulmans à l'égard de Mahomet pour apaiser leur indignation quand nous confessons le Christ et l'associons à Dieu (Tu quoque ! Tu montres toi-même qu'il te faut plus qu'un lettré passif qui se borne à transmettre les commandements ! Tu cherches l'Homme parfait (...) Tu cherches celui qui accomplit la vocation. ». cependant Blocher ne suit pas Cragg plus loin, car cela pourrait conduire à renoncer à l'unicité de Christ (voir l'article pour plus de détails !)
Deux autres points sont « sensibles » :
3- la conception du Salut
4. la Divinité même
Blocher met en avant plusieurs malentendus qu'il est important de lever pour approcher les musulmans, notamment l'idée que la Trinité chrétienne se composerait de Dieu/Jésus/Marie ! Partant, il est important de montrer que cette Trinité n'est pas un polythéisme et qu'elle ne rompt en rien l'unité divine. La foi en Jésus n'est pas la divinisation d'une créature, la filiation n'a rien de charnel, en dépit de l'incarnation - cette idée de « Fils de Dieu » choque particulièrement les musulmans.
La Grâce biblique peut être présentée positivement en face de l'absence d'assurance du salut du Musulman dont les bonnes œuvres, si elles contribuent à sa « rédemption », ne la rendent pas certaine pour autant.